Si l’idole de la révolution orange française (ROF) a aujourd’hui perdu sa place de titulaire sur le terrain politique, il fut cependant un sacré attaquant. Il est temps d’analyser ses matchs, avec la profondeur du temps, et sans a priori. Son style de jeu anarchique et flamboyant cachait en vérité des phases d’absolue rigueur : des nouveautés tactiques déstabilisantes pour les défenseurs, probablement dictées par son entraîneur, et enrobées d’un souriant brouillage. Un adversaire difficile à tacler.
C’est un porte-parole, mélange de clown et d’orateur, qui n’a pas le sens du ridicule, celui qui pétrifie généralement les Gentils. Ainsi, Dany peut aller loin dans l’invective, et comme Nicolas Sarkozy, étant dénué de surmoi, déverser un discours intérieur torrentiel mêlant aspirations, délires et intelligence visionnaire. D’où cette impression de « nuage de conneries contenant toujours un message ».
Daniel Cohn-Bendit : « Quand vous entendez Jean-Luc Mélenchon fustiger l’impérialisme, n’entendez-vous pas en creux les discours du PC contre l’OTAN dans les années 1950 ? » (Le Monde du 10 avril 2012)
Libéraliser la gauche
Et ce message, quand on entre dans la communication de ce trublion depuis 25 ans, c’est-à-dire sa réapparition sur la scène politique française (il a été expulsé du territoire français en 1968), est effectivement et au contraire de son enveloppe, extrêmement clair et cohérent sur la durée : réduction des gauches communiste et nationaliste, qu’il sépare du Parti socialiste, et isole. Son adhésion aux écologistes va dans ce sens : ses Verts sont là pour récupérer la colère populaire, mais en la neutralisant à coups de baleines et de pollution. Aucun risque pour le système : l’écologie, tout le monde y adhère, même les grands patrons. La tendance Cohn-Bendit est le masque cool de l’anticommunisme et de l’antinationalisme. D’où cette parfaite compatibilité avec la droite libérale OTANiste, car malgré des principes apparemment antagonistes, les cibles sont les mêmes. À part le MacDo mais ça, les Américains s’en foutent. Et pour constituer une alternative au communisme et à l’unité nationale, en prônant son centr(al)isme eurorégionaliste, Dany est très efficace. Son rêve n’est pas de construire l’Europe, mais de déconstruire les nations et interdire tout retour du communisme. Car le désespérant capitalisme transfrontalier, qui est son ami et employeur, finit toujours par produire du communisme. Dany est le retraiteur des déchets électoraux du libéralisme.
« Ce qui m’a fait plaisir, cet après-midi, c’est d’être en tête du défilé où les crapules staliniennes étaient dans le fourgon de queue. » (Dany en mai 68 dans un meeting PSU à la Mutualité)
Son noyautage et détournement des Verts a fait exploser le mariage de la gauche socialiste et de la gauche souverainiste à la fin des années 90. Une victoire sur Chevènement, que Jospin a lâché en 2000, perdant ainsi de manière certaine les présidentielles de 2002. Car le score de Chevènement (+ 5 %) aurait dû s’ajouter à celui de Jospin et le qualifier pour le second tour. Le ministre de l’Intérieur punira ce traître à la patrie ouvrière en avril 2002. Mais c’est Dany l’Orange qui gagnera la partie, tuant une gauche française qui aurait pu devenir nationaliste. 15 ans plus tard, une droite sociale et nationale reprendra le flambeau, drainant une armée d’électeurs vaccinés contre la manipulation cohnesque, une « gauche droite » dont Dany aura bien du mal, malgré ses sorties anti-Le Pen (père et fille), trop hystériques pour être crédibles, à briser le nerf patriotique. Il est temps de se reconvertir dans le foot. You did a good job, comme disent ses boss. You deserve your pension.
Dépolluer les Verts
C’est sûrement un hasard si le berceau politique de Dany est la ville de Frankfurt, qui est aussi le berceau de la banque et de la bourse allemandes. Co-leader avec Alain Geismar de la déstabilisation de mai 68, le dit Alain devenant d’un coup de baguette magique secrétaire d’État en 1990, après être passé chez les « experts » du Parti socialiste, alors sous la coupe de Jospin… Dany fera du nettoyage partout où il passera : dans la résistance au gaullisme, dans la gauche française, et chez les écolos un peu trop anti-Israël.
Car avant, il y a très longtemps, au début des années 90, quand les États-Unis et leurs 33 alliés libéraient le Koweït, le conseil national inter-régional des Verts fustigeait encore « le rôle belligène d’Israël et du lobby sioniste », chose impensable aujourd’hui. On pouvait y entendre des horreurs du genre :
« Israël, Etat raciste, théocratique, militariste, expansionniste, ayant une politique fondée sur une logique de guerre permanente, avait pour objectif principal la destruction de l’Irak. »
Voici ce qu’écrivait, propos rapportés par Le Monde du 09/04/91, le candidat des Verts dans le Rhône, Jean Brière :
« Après avoir estimé qu’aux Etats-Unis, “le poids du lobby juif a été déterminant pour faire pencher la balance en faveur de la guerre”, M. Brière analyse l’attitude des médias et des intellectuels pendant la guerre du Golfe en dressant une liste des “déclarations délirantes des auteurs juifs”, d’Elie Wiesel à Daniel Cohn-Bendit. “Il est impossible de recenser les juifs et les non-juifs des médias, mais pour la télé, il faut citer Bromberger qui, charmant et impeccable avec son noeud papillon, posait ingénuement la question : faut-il tuer Saddam ?” »
L’écolo fou à lier acceptera de faire son autocritique… sur la diffusion du texte, pas son contenu. Fou à lier, et têtu.
Chez les Verts, le conflit du Koweït révèlera, comme souvent, une ligne de faille sioniste/antisioniste : d’un côté les réalos (réalistes), avec Joschka Ficher et Dany Cohn-Bendit, favorables à la poursuite de l’intervention armée pour « sauver les Kurdes d’Irak », et les « fundis », inconditionnellement pro-irakiens et pro-palestiniens au nom de l’anti-impérialisme (Le Monde du 26/05/91).
- Highway of death, ou la pax americana(rdage)
Immigrationner l’Europe
Poursuivons notre périple dans les 1700 articles du Monde consacrés de près ou de loin à Dany depuis 1987. Nous sommes en 1991 et Dany accorde un entretien au quotidien. Ce coup-ci, l’adjoint au maire de Francfort parle immigration.
« Il faut accepter cette évidence que les immigrés vont rester en Europe. Alors, autant en faire de vrais citoyens. » (27 juin 1991)
Dany, chargé des « affaires multiculturelles », propose une « citoyenneté européenne » aux immigrés non originaires de la CEE. Selon lui, freiner l’immigration dont l’Europe (patronale ?) a besoin, c’est favoriser l’immigration clandestine. Ce sera le grand argument humaniste des immigrationnistes de gauche pendant 20 ans. Et comment aller contre l’humanisme ? Toujours selon Dany, les gouvernements européens « sont prisonniers de leur opinion publique alors qu’il faut se soustraire aux discussions de café du commerce ». Traduction : il faut gouverner contre les peuples européens eux-mêmes, car nous seuls savons où est leur intérêt. On a vu le résultat, 20 ans plus tard. Et Dany d’envoyer un SCUD à Chirac, dont il assure qu’il aurait pu être « Premier ministre sous Vichy ». Dany martèle l’évidence que les immigrés vont rester en Europe, et qu’il faut leur accorder le droit de vote. Logiquement, dans un autre entretien le 30 novembre 1991, il s’en prend à l’extrême droite allemande, qui ne comprend pas l’intérêt de l’immigration massive. Et dévoile alors une partie de son appartenance :
« Mais ce qui est important et réconfortant, c’est la réaction du patronat. Il dit notamment que le pays a besoin des travailleurs étrangers pour conforter la prospérité. Si l’Allemagne ferme ses frontières, affirment les industriels, le pays comptera une population de quarante-cinq millions d’habitants en 2040. »
C’est donc l’immigration, ou la mort. Dany fait le pari que « la majorité silencieuse ne se tournera pas du côté qu’elle avait choisi dans les années 30 ». Ou l’impossibilité nazie qui ferme la porte à toute autre politique.
OTANiser l’Europe
Les élections cantonales et régionales de mars 1992 mettent à jour une autre facette politique du personnage, véritable couteau suisse. Le Parti communiste français regarde d’un mauvais œil la direction verte s’éloigner d’un frontal avec la droite, Waechter étant partisan d’un « ni droite ni gauche ». Un recentrage qui ne dit pas son nom, sous couvert d’indépendance par rapport aux deux grandes forces d’alternance. Il y a à ce moment-là deux tendances chez les écolos français, à l’image de leurs cousins allemands : les modérés (Génération Écologie), et les Verts plus durs, qui remettent en cause les fondements de notre société.
Le lancement de la chaîne culturelle franco-allemande Arte en mai 1992, au milieu d’un concert de sifflets, permet à Dany de s’illustrer dans une revue de presse bihebdomadaire. Un budget de 1,2 milliard de francs, soit 255 millions d’euros, de pure propagande européiste lénifiante. Un gouffre financier stérile puisque 98 % des Français boycotteront cette chaîne et n’adhéreront jamais à l’idée européenne qu’on leur impose. Une idée chère, et invendable. Mais un budget pas perdu pour tout le monde : BHL est le président du Conseil de surveillance de la chaîne depuis 20 ans (reconduit en 2009 pour 5 ans par Sarkozy) et son grand ami Jérôme Clément, le président d’Arte France.
L’année suivante, en 1993, Dany invite Kofi Yamgnane, secrétaire d’Etat à l’intégration, à une séance de son parlement des étrangers à Francfort. Ordre du jour : le dépôt, par les élus croates, d’une résolution exigeant des sanctions contre la Serbie, et une intervention militaire (Le Monde du 6 février 1993). La même année, pour faire mentir les pronostics cohniques, l’extrême droite allemande fait une percée aux municipales, sous la houlette du terrifiant Franz Schönhüber. Fin mai, Dany, qui court toujours plusieurs lièvres à la fois, participe à l’appel des « intellectuels français » (les guillemets sont de nous) en faveur de Sarajevo. La liste, que nous avons le droit de publier, comporte les noms prestigieux d’Alexandre Adler, Josette Alia, Michèle Barzach, Christine Clerc, Daniel Cohn-Bendit, Olivier Duhamel, André Glucksmann, Marek Halter, Eugène Ionesco, Laurent Joffrin et Serge Moati (Le Monde du 28 mai 1993).
- Le Parlement européen a bien changé, depuis
Dénazifier (ou israéliser) l’Europe
En 1994, Dany milite pour un « assainissement écologique » à l’Ouest comme à l’Est.
Pour le contrarier, l’Alsace vote violemment Le Pen (25,41 %) au premier tour des élections présidentielles de 1995, l’installant en première place devant Balladur, Jospin et Chirac. Et loin devant Voynet et ses 3,83 %. À cette occasion, Dany confie au Monde du 26 avril 1995 :
« Si l’Alsace était restée allemande, elle aurait sans doute un comportement plus démocratique. »
Il appelle alors les écolos français à voter massivement pour Lionel Jospin, arguant qu’« un pays dont 20 % des électeurs votent à l’extrême droite est beaucoup plus malade qu’un pays qui a un million de fumeurs de hasch ». Curieusement, la même année, Dany, qui se démultiplie, condamne le projet de création d’un mémorial juif à Berlin. Non pas par antisémitisme (ne rêvons pas), mais parce que cela risque d’« esthétiser » la Shoah, position très lanzmanniaque. Le même mois, les députés européens réunis pour l’occasion dans la Commission des affaires étrangères européennes décident d’une « réponse militaire » à l’agression serbe, résolution défendue victorieusement par Dany, Rocard et Stasi… Bernard, l’UDF, pas la police politique est-allemande, auteur du rapport éponyme et du livre L’Immigration, une chance pour la France. Une sorte d’union sacrée Verts-PS-UDF, que l’on retrouvera lors de la campagne anti-Sarkozy en 2012. Le titre de l’article du Monde consacré au débat interne est sans ambiguïté : « Les Verts allemands s’interrogent sur les vertus du pacifisme » (05 décembre 1995). Le ton est donné dès l’introduction : « Peut-on demeurer pacifiste après Srebrenica ? »
Romain Goupil juge l’engagement de Cohn-Bendit pour une intervention militaire en Bosnie :
« Dany a toujours joué ce rôle : semer le doute dans la militance d’extrême gauche. »
Janvier 1996, visite du Président de l’État d’Israël, Ezer Weizmann, en Allemagne. Dany s’adresse alors au peuple allemand à travers le grand quotidien Die Zeit :
« L’Allemagne retrouvera la paix avec elle-même quand des centaines de milliers de juifs construiront l’avenir du pays aux côtés de musulmans, de chrétiens et d’athées. »
Il faudrait peut-être d’abord demander son avis au peuple allemand, qui semble paralysé par le débat. Les gouvernements des deux pays n’auront pas attendu longtemps une réconciliation : depuis le début des années 60, les Allemands livrent des armes à Israël, et travaillent conjointement sur des « programmes scientifiques appliqués à la défense ». On peut lire en conclusion du même article :
« C’est avec raison que les dirigeants de Jérusalem soulignent aujourd’hui que leurs partenaires allemands sont leurs meilleurs avocats auprès de Bruxelles. Grâce à l’entremise du gouvernement de Bonn, Israël s’est vu accorder un “statut privilégié” avec l’Union européenne, lors du sommet d’Essen. » (Le Monde du 20 janvier 1996)
16 ans plus tard, ce statut privilégié se concrétisera, entre autres, par la création d’un parlement juif européen, lobby défendant ses intérêts communautaires au grand jour. À l’américaine.
- Des sans-papiers pour tous !
Dénationaliser la France
1996 voit l’ouverture d’un nouveau front démocratique au cœur de l’ancienne Union soviétique. Dany et Glucksmann, au milieu d’autres intellectuels, signent l’article « Pour qui sonne le glas en Tchétchénie ». 1996, année des pétitions : « Ça suffit », écrivent Dany, Kouchner et Glucksmann, qui veulent que la Foire du livre s’organise à Orange, ville aux mains du FN Jacques Bompard. À peine sorti de l’été, Dany appuie la demande des sans-papiers de l’église Saint-Bernard (Paris XVII) au sein de la gauche du Parlement européen. Décembre 1996, on sort l’artillerie lourde, avec le communiqué des « intellectuels français » (Le Monde du 3 décembre 1996) qui saluent le courage de l’opposition serbe : Dany y côtoie à nouveau Glucksmann, BHL et Kouchner. En janvier 1997, Dany lance même l’idée du Festival de musique en Bosnie, parrainé par l’Europe. Mars 1997, c’est la gloire avec l’appel « Dany, reviens », lancé par les écolos français (et Noël Mamère aux commandes) pour rapatrier l’adjoint au maire de Francfort « dans la vie politique française ». Mais la base verte choisira Dominique Voynet pour mener le combat électoral aux législatives de mai et juin. En réalité, Dany se prépare pour les européennes de 1999, avec deux combats politiques majeurs : la lutte contre le communisme, et la lutte contre le nationalisme de gauche qu’il juge « dangereux », incarné par Chevènement.
Un petit échec, tout de même, en 1997 : Ahmed Attaf, le ministre des Affaires étrangères algérien, refuse d’accueillir une commission d’enquête internationale sur les massacres, mais accepte la venue à Alger d’une délégation de parlementaires européens composée de neuf membres, dont Dany (Le Monde du 29 novembre 1997). Délégation qui refusera de rencontrer les leaders du FIS. Quand on sait le rapprochement américano-algérien dans la lutte contre le fondamentalisme islamiste… L’équipée est un échec total. Provoqué par Dany, taxé de « clown politique » par les autres députés et de « Monsieur Cohen » par la presse algérienne, qui livrera au Monde du 17 février 1998 son carnet de voyage, touchant de sincérité, et de confusion.
Communautariser la gauche
Mais la pétitionnite reprend de plus belle, avec le texte d’Act-Up le 26 février 1998.
Le 23 avril débute la commémoration – et donc l’enterrement en grandes pompes – des « événements » de mai 68. Dany :
« Je suis radicalement narcissique, et je l’avoue. »
Le prince de mai est partout : France Culture consacre pas moins de cinq semaines intensives aux évènements, quasiment du temps réel, des bouquins sortent, célébrant l’ancien avènement de temps nouveaux. À la poubelle, de Gaulle, austère homme de devoirs, vive l’homme de droits et de désirs ! Adieu papa, vive la liberté ! Un article fort intéressant surgit dans l’édition du 29 avril 1998, intitulé « Les juifs d’extrême gauche en mai 68 » :
« Universitaire israélien, Yaïr Auron se demande pourquoi on rencontrait tant de juifs parmi les militants d’extrême gauche, en France, dans les années 60 et 70. Il avance diverses explications, tel l’attrait pour la lutte révolutionnaire qui caractérise l’histoire juive depuis l’Émancipation. Il privilégie cependant l’hypothèse du traumatisme provoqué par la Shoah. La destruction des juifs d’Europe aurait mué la génération d’après guerre en antifascistes vigilants. Le propos est illustré par des portraits d’Alain Krivine, Daniel Cohn-Bendit, Pierre Goldman et de beaucoup d’autres. »
Le supposé fascisme servira surtout à marquer leurs adversaires idéologiques, gauche ouvrière et droite catholique.
Voici ce qu’écrit, avec une touche d’ironie, Le Monde du 24 mai 1998. Invité sur France Inter le 28 mai, Alain Peyrefitte, ministre de l’éducation nationale de l’époque, reste persuadé que Mai 68 est le fruit d’un complot international :
« Raymond Aron s’est complètement trompé lorsqu’il a qualifié Mai 68 de carnaval et de chahut étudiant. Derrière ce mouvement, il y avait une volonté révolutionnaire avec des gens formés pour cela. L’incendie a éclaté parce qu’il y avait des incendiaires. Ils étaient sincères, convaincus, formés à l’école de la révolution internationale marxiste-léniniste. La Jeunesse communiste révolutionnaire d’Alain Krivine a été fondée en 1965 pour quitter le Parti communiste, jugé trop plan-plan. Et en février 1968, deux cent cinquante d’entre eux sont allés à Berlin pour suivre des cours de révolution donnés par Rudy Dutschke. Il y avait Cohn-Bendit et probablement Geismar et Sauvageot. »
Seconde rencontre avant le clash avec Chevènement, à l’occasion d’un dossier Autorité publié par Le Monde de l’éducation, le 6 mai 1998, dont Dany est le rédacteur en chef. Pendant les commémorations, un incident regrettable est à déplorer : des militants anarchistes de la CNT entartent le leader de Mai 68, à Nanterre même, lieu saint de la profanation du pouvoir gaulliste. L’Histoire a de ces d’ironies…
- Surnom : Bombing Domi pour les Américains et l’OTAN
Dénationaliser l’Europe
Le 25 août 1998, grand entretien de Dany au Monde, où il déclare qu’il faut « aujourd’hui accepter la souveraineté politique de l’Europe ». Pour lui, le PC est nationaliste. Et les Verts doivent voter le traité d’Amsterdam, qui élargit le pouvoir communautaire dans la ligne du traité de Maastricht. Au cours de ce soliloque, il attaque le ministre de l’Intérieur, sur la base de sa politique de répression des sans-papiers. Le lobbying de Dany produit son résultat : il enlève à Voynet la tête de liste des Verts aux européennes de l’année suivante. Entre-temps, il a le temps de défendre Hans-Joakim Klein, le terroriste d’extrême gauche arrêté (complice de Carlos), qu’il a soutenu financièrement, à l’instar de Sartre, Signoret et Glucksmann. L’enjeu réel des européennes est la place de numéro 2 de la gauche plurielle auprès du PS. Il s’agit donc pour Dany d’enfoncer le PC, ce qu’il sait parfaitement faire – il est formé pour cela – vu que les communistes sont déchirés entre l’aspiration démocratique européenne et la retenue nationaliste des ouvriers, premiers à souffrir de la mondialisation.
L’explosif effet Dany dans la gauche plurielle ne tarde pas : il demande à Jospin, par le truchement des Verts, de régulariser tous les sans-papiers (17 novembre 1998). Première déchirure dans une gauche archi-promise à une victoire sur un Chirac en bout de course. Mais en poignardant Chevènement, il condamnera Jospin.
Les députés Verts organisent une conférence-débat à l’Assemblée nationale avec le collectif « Elf ne fera pas la loi en Afrique » (Le Monde du 28 novembre 1998). Le prétexte, c’est l’impact social et environnemental de la grande société pétrolière française. Derrière se profile un affaiblissement de la politique hexagonale sur la scène internationale, et africaine en particulier. Le 12 décembre, Dany assiste « l’intellectuel persécuté » Salman Rushdie dans sa conférence de presse. Avant le réveillon, il re-martèle son message : régularisation de tous les sans-papiers !
Une bonne nouvelle, en passant : la Deutsche Bank fusionne avec Bankers Trust et devient la première banque mondiale, basée à Frankfurt.
Début 1999, le révolutionnaire assume son qualificatif de libéral-libertaire, lui qui fait l’apologie d’une « flexibilité contrôlée et négociée ». Chevènement le traite sur TF1 de « partisan de l’anarchisme mercantiliste ». L’éditorialiste du Monde Pierre Georges, grand admirateur de Dany, associera le ministre de l’Intérieur à ses prédécesseurs, les très répressifs Fouchet et Marcellin. Jospin, invité à son tour sur TF1 le 13 janvier 1999, désavoue Chevènement sur la sécurité. C’est le début de la fin : pour Jospin, pour la gauche non-libérale, et pour la politique sécuritaire, dans laquelle s’engouffrera Sarkozy cinq ans plus tard, et qui lui donnera les clés du pays. Les noms d’oiseaux volent, Dany fustige le « socialisme patriotique » et le « passé de dirigeant de Patrie et Progrès » de Chevènement. L’écrivain Philippe Sollers, mandaté par sa seule conscience, monte au créneau avec sa « France moisie ». La machine médiatique est en marche. Dany a toujours eu les médias avec lui : les journalistes l’adorent et il adore les journalistes, il le dit lui-même. Le Monde embraye en dénigrant le pourtant très timide patriotisme chevènementiste. Le terme « antisémite » est enfin lâché, comme un orage qui couvait depuis trop longtemps. Chevènement réplique par un dangereux « élite mondialisée », contre lequel Dany sort son bouclier « juif ». Daniel Schneidermann consacrera un article impartial, le 31 janvier 1999, à ce glissement politico-sémantique du débat.
- Remake du Dictateur
Dénationaliser la gauche
Coup de chance, le 4 février, Dany trouve une grande tribune dans Le Monde. Qui commence par ces mots prophétiques :
« Mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit s’est achevée sur un formidable espoir : l’euro. »
Il y présente l’Europe comme la solution à tous les maux, et surtout, l’unique défense contre une « globalisation qui part à la dérive ». L’art de vendre sa politique en jouant sur les peurs des… européanisés. Hélas, les ouvriers de l’usine de retraitement de la Hague le reçoivent avec un mélange d’œufs pourris et d’insultes. Coup en douce des communistes, qui ne peuvent pas l’affronter dans les médias ? Car ces derniers sont quasiment tous cohn-bendistes. Le troupeau des intellectuels de soutien afflue. Dany promet une eurorégion aux Basques dans une France à la découpe, qui délèguerait sa souveraineté à la Grande Europe.
Après Chevènement, Dany s’en prend à Claude Allègre, soutien historique de Jospin mais écologiste peu convaincu. Preuve d’un effet Cohn-Bendit à gauche : « Dominique Voynet se prononce pour une action au sol » (au Kosovo), titre Le Monde du 1er avril 1999, et ce n’est pas un poisson d’avril. Seconde charge après les sans-papiers pour faire éclater l’union des gauches, le PC n’étant fatalement pas très chaud pour appuyer la guerre américaine en Europe… À la réunion publique du 14 avril se pressent Glucksmann, BHL, Goupil et Cohn-Bendit aux côtés de l’écrivain albanais Kadaré. Le 29 avril, Le Monde diffuse la proposition – non-ironique – d’organiser un meeting unitaire de la gauche avant les européennes du 13 juin…
Nouveau coup de chance : le 6 juin, grosse tribune dans Le Monde, avec un discours programmatique qui se termine sur une vision messianique :
« Je suis convaincu d’ailleurs qu’à l’avenir ce sont les Américains qui nous imiteront. Ce jour-là, nous aurons vraiment réussi à faire émerger la société européenne. »
C’est simple : américanisons-nous. Il propose à Lyon non pas un plan Marshall, mais un plan Prodi pour la Serbie. Fort de ses 10 % aux élections, les Verts dépassant le PC (7 %), Dany réclame des postes de ministre à Jospin. Mélenchon tentera et réussira le même hold-up en 2012 contre les centristes (11 % contre 9 %), histoire de devenir le partenaire privilégié du vainqueur, et de peser en terme de postes de ministres ou de députés, au choix.
- Une opposition farouche
Le libéralisme ou la mort
Ensuite, plus rien de notable jusqu’à la catastrophe d’avril 2002, le 11 Septembre français : l’avion Le Pen se crashe dans la tour socialiste. Noël Mamère reprochera même à Jospin de « casser la gauche plurielle » en refusant l’abandon du nucléaire. Début avril 2002, Arlette Laguiller poursuit les frères Cohn-Bendit en diffamation pour l’avoir qualifiée de « militante obéissante et dévouée d’une secte ». Dommage pour le communisme international. Le discours de Dany place du Luxembourg, face au Parlement européen, suite à la qualification de Le Pen pour le second tour, rappellera Sartre sur son tonneau devant les ouvriers des usines Renault. Ah, les notes : Laguiller, et Chevènement, feront plus que Mamère, avec près de 6 % des voix chacun. Double claque pour la stratégie cohnienne. Piteusement, la bande à BHL, Cohn-Bendit et Glucksmann appellera à voter Chirac, dit l’ami des Arabes. Les Verts européens se réuniront après le tremblement de terre français à Berlin pour y débattre du « phénomène populiste », qui commence à obscurcir l’avenir électoral des anti-système.
Conséquence de la marginalisation de la tendance chevènementiste à gauche, la jonction commence à se faire entre souverainistes de gauche et souverainistes de droite, comme Couteaux, Abitbol et Kuntz, anciens proches de Pasqua. Les souverainistes de tous poil, comme les appellent Dany et Lipietz dans leur article conjoint du 20 septembre 2003, menacent le compromis européen du fait des « clauses libérales ». L’article se termine par une offre difficile à refuser :
« Aujourd’hui, à l’Europe est proposée une responsabilité du même ordre : la première Constitution transnationale, offrant aux citoyens d’un vaste continent les moyens de domestiquer par le vote et le droit une économie devenue folle en se globalisant. »
Offre qui ressemble étrangement à l’ébauche du gouvernement mondial(iste) prôné par Jacques Attali. Autant dire le mondialisme contre le mondialisme… Avec la menace sous-jacente de la décadence, de la paupérisation, voire de la guerre. En octobre 2003, Dany et Olivier Duhamel, défenseur acharné de la constitution européenne, qui sera soumise aux peuples en 2005, invitent la Pologne dans l’Union… histoire de la décrocher de la sphère d’influence russe, diront les sceptiques. C’est le 27 novembre 2003 que le député européen Dany enfourche un énième cheval de bataille : la défense de la laïcité… contre la religion… musulmane. Mais sans interdire le voile à l’école, ce qui pousserait les (Français) musulmans dans les bras du communautarisme… Un nouveau débat dressant les Français les uns contre les autres, chrétiens ou laïcs contre musulmans…
- Le vampire fait son boulot
Désocialiser la France
Bondissons jusqu’à 2005. Nous sommes en pleine « ouimania », instillée à coups de bombes d’une kilotonne par les médias dominants. Or, petit signe avant-coureur, même chez les Verts dans un référendum interne, le projet de Constitution ne passe qu’à 53 %. Pour des européistes, ça n’augure rien de bon. Pire, la campagne de Dany est perturbée par… les étudiants, qui lui reprochent d’être passé de l’autre côté de la matraque… libérale. Il se requalifie lui-même en « révolutionnaire réaliste ». Une contorsion de plus… Un masque tombe, mais Le Monde lui ouvre toujours grand ses colonnes. La gifle du 29 mai, imprévue, laisse l’élite groggy. Si faire l’Europe n’est pas une chose simple, faire l’Europe libérale sous couvert de plus de démocratie ne passe carrément pas. Dans l’entretien accordé au Monde le lendemain de la défaite, Dany donne ses ordres :
« Si l’on croit qu’il n’y a que le modèle social français qui puisse servir de modèle à l’Europe, alors là on se trompe. Le modèle social français doit évoluer. »
C’est avec ce genre d’aveu qu’on signe son arrêt de mort politique, dans le pays du modèle social.
Finalement, c’est en février 2007 que, se dévoilant définitivement, Dany prônera une alliance UDF-PS-Verts. En se recyclant chez Ségolène Royal, qui fait du pied à l’UDF de Bayrou. Royal et son grand écart entre un rapprochement au premier tour avec Chevènement, au second avec Cohn-Bendit, qui lui assure, du haut de ses 9,72 % de voix aux européennes :
« C’est moi qui capte le mieux l’électorat urbain et celui des villes. » (Le Monde du 26 avril 2007)
Tous les masques sont tombés, un à un. Que nous apprend le survol de son action publique ? Que Cohn-Bendit a utilisé le cheval de Troie de l’écologie, dont il reprend le seul vocabulaire, pour briser les liens de la gauche française non-libérale (Parti communiste, Mouvement des citoyens) avec la gauche Medefo-compatible (Parti socialiste), le cheval de Troie européen pour aspirer les souverainetés nationales au profit du pouvoir américain (via l’OTAN), et enfin le cheval de Troie de l’humanisme immigrationniste pour briser l’unité des nations et leurs frontières. Combats menés sous l’égide de la lutte contre les pesanteurs sociales, qui bloqueraient le retour à la croissance (verte), et contre le nationalisme, qui bloquerait l’amour entre les peuples. À ce rythme, la conservation des avantages acquis par 100 ans de luttes sociales passera bientôt pour du néonazisme.
Quel que soit son employeur réel (Allemagne, Israël ou États-Unis), le parcours de ce faux agitateur d’idées mais véritable agent de destruction (il n’a rien construit) aura été absolument efficace, cohérent, et à tous points de vue antifrançais. L’Europe américano-fédérale, ces États-Unis d’Europe qu’il appelle de ses voeux, la Gross Europa, qui avale des nations et recrache des régions, est en marche. Le Canard enchaîné avait beau se moquer de ses grandes oreilles, Alain Peyrefitte avait de bonnes oreilles. Seule gagnante de ces destructions savamment programmées, la puissance qui a de fait privatisé l’Union européenne… dont les peuples ne veulent plus. Le mafieux de cirque qui pérore dans les médias n’est jamais le vrai capo. Il y a des gens plus sérieux au-dessus.